Architectures en milieu extrême : des enseignements à tirer

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Emmanuel Dufrasnes est enseignant-chercheur à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Strasbourg (ENSAS). Suite à sa rencontre avec l'architecte Jacques Rougerie et l'astronaute Jean-Jacques Favier, il a initié le réseau Arches, pour Architectures en milieux extrêmes, qui favorise les transferts de compétences entre technologies spatiales et technologies vertes.

Qu'est-ce que l'architecture en milieu extrême ?

Il y a plusieurs thématiques. Par exemple l'espace, la Lune et Mars. Depuis qu'on a été sur la Lune, l'envie d'y retourner et d'y créer une base a toujours été là. Il y énormément de travaux de natures variées, autant sur les systèmes constructifs que les comportements humains, ou sur la manière de faire pousser des plantes là-haut. Il y a le sujet des bases marines et sous-marines, dont on parle un peu plus aujourd'hui, notamment dans des pays comme Singapour qui ont besoin de s'étendre sur les mers, en raison d'un foncier complètement sclérosé. En France on a deux figures de l'architecture qui portent ce sujet-là, dont Jacques Rougerie. Les deux sujets peuvent être liés parce que les bases lunaires sont expérimentées en général sous les océans. C'est le moyen d'avoir le milieu le plus proche de l'espace. Il existe aussi beaucoup de travaux sur les bases polaires, sur les constructions en milieux très chauds, etc.

Comment est venu l'idée du réseau Arches ?

Quand je suis devenu enseignant il y a six ans dans une école d'architecture, une des choses que je voulais impulser, c'était l'innovation, et surtout l'innovation technologique. J'ai initié une masterclass, c'est à dire un workshop d'une semaine, pour les initier à des démarches accélérées d'innovation dans le secteur du bâtiment. J'ai repris un modèle pédagogique qui existe à l'École polytechnique de Grenoble, que j'ai adapté à notre contexte. On fait cela depuis 2010. Les premières années, j'ai beaucoup fait travailler les étudiants autour du Solar Decathlon : comment construire des bâtiments passifs avec des énergies renouvelables dans des climats chauds. Les étudiants n'arrivaient pas à sortir de « comment on pose la poutre sur le poteau ». Je me suis dit qu'en se plaçant dans un milieu complètement atypique, on pourrait tirer ces étudiants vers plus d'innovation, et peut-être quelque part plus d'utopie.

L'utopie serait le point de départ de l'innovation ?

Il faut rêver. L'utopie a souvent été une machine dans l'histoire de l'architecture pour créer de nouvelles choses. Si Jacques Rougerie (partenaire du réseau Arches), du haut de ses 72 ans, n'avait pas rêvé à des stations sous la mer ou à des stations spatiales, il n'aurait pas fait sa vie comme il l'a fait. On a besoin d'une part de rêve. Si on veut vraiment créer de l'innovation de rupture, ce n'est pas en mettant des architectes ensemble, ni des biologistes ou des chimistes ensemble. Mais c'est en les mélangeant, en associant des compétences d'origines différentes. Ce n'est pas simple car ils ne parlent pas le même langage, et ne réfléchissent pas de la même manière. Qu'est-ce qu'a fait la Nasa dans le passé ? Elle a créé pour l'ISS des systèmes de recyclage d'eau et on s'est aperçu qu'on pouvait l'utiliser en Afrique. C'est un moyen de valoriser ce qui est produit dans un secteur. Aujourd'hui c'est une question de survie économique.

Le monde du bâtiment a-t-il aussi sa carte à jouer ?

Notre secteur [du bâtiment] évolue difficilement. Parce que ce n'est pas un secteur industriel, c'est un secteur artisanal. Un autre objectif est de faire du réseau Arches un des acteurs de la construction de la futur base lunaire. Le Moon Village est un projet d'habitat lunaire à base de régolyte, la poussière présente sur la Lune, sur Mars et probablement ailleurs. Il y a des essais qui ont été faits avec de la régolyte de synthèse pour fabriquer du béton. C'est vital car on ne peut pas envoyer du béton dans une fusée, ça pèse lourd ! Tout ce qu'on peut ne pas envoyer, c'est beaucoup d'argent d'économisé. Il y a peut-être de l'eau, pas sous la forme liquide, mais sous forme de cristaux de glace qu'on pourrait exploiter. Il y en a peut-être sous un état exploitable dans le sous-sol lunaire, qu'on connaît mal. Sur les planètes du système solaire il devrait y avoir de l'eau sur quelques unes d'entre elles. Qui dit de l'eau, dit de la vie, à l'état de microbes, et de bactéries. La base lunaire a plusieurs buts : remplacer l'ISS qui est en fin de vie, et être une base de quarantaine avant un retour sur Terre, pour les missions sur Mars.

Propos recueillis par Laurent Perrin

Publié le 16 novembre 2017

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