COLONISER L'ESPACE : LE MONDE D'APRÈS-DEMAIN

Pour en savoir plus ...

Quand les architectes projettent de construire dans la banlieue de la Terre : d'abord sur la Lune puis pourquoi pas, sur Mars. 

Depuis que l'homme a foulé pour la première fois le sol lunaire, il y a près d'un demi-siècle, il s'est pris à rêver d'aller encore plus loin dans l'espace. Mais si de nos jours, les astronautes séjournent régulièrement à quelques centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes au sein de la Station spatiale internationale (ISS), ce sont plutôt les robots qui partent en missions d'exploration. Le grand public ne connaît pas forcément leurs noms, pourtant Mars 3, Viking 1 et 2, Mars Pathfinder, Beagle 2, Spirit, Opportunity, ou plus récemment Curiosity, ont d'ores et déjà posé leurs capteurs sur la surface martienne et déjà parcouru, pour certains, près de quarante kilomètres ici haut. La sonde Voyager a quant à elle dépassé les limites du système solaire en 2013, tandis que l'atterrisseur Philae s'est, lui, arrimé à une comète éloignée de 510 millions de kilomètres en 2014. Devant ces exploits, l'humanité peut difficilement rivaliser. Mais contre toute attente, la reconquête humaine de l'espace renaît depuis quelques années. La Chine veut rapporter des échantillons lunaires d'ici un ou deux ans et espère envoyer son premier homme sur la Lune d'ici 2030. Le milliardaire américain Elon Musk a de son côté évoqué une première mission martienne d'ici… 2024 ! Les annonces se multiplient. Une chose est sûre, l'Homo sapiens fait son grand retour dans la course aux étoiles et cela constitue une aubaine astrale pour les architectes !  

DES HOMES  DANS L'ESPACE

Vaut-il mieux coloniser la Lune ou explorer Mars ? Les deux options n'ont pas la même finalité : seule la seconde engage la découverte de nouvelles formes de vie. Pour autant, hormis des images et des données, aucun objet n'est encore revenu de la planète rouge ; la Lune apparaît alors comme une étape intermédiaire pour mieux se préparer à un voyage des plus périlleux. Il est vrai que notre satellite se situe à « seulement » 384 400 kilomètres de nous quand Mars se positionne, selon son orbite autour du Soleil, à une distance comprise entre 58 millions et… 400 millions de kilomètres. Pour imaginer y faire un jour des petits pas, il faudra déjà parvenir à propulser et transporter du matériel lourd sur une très grande distance ; régler les problèmes de carburant pour l'aller et le retour - compter un à deux ans de trajet pour les équipements, six mois pour un voyage habité - ; solutionner l'approvisionnement en eau, oxygène et nourriture ; et enfin, réussir l'« amarsissage », la moitié des engins ayant tenté l'expérience n'ayant pas survécu. En comparaison, un voyage vers la Lune paraît des plus simples ! L'espace reste de plus un environnement inhospitalier, en proie aux micrométéorites et aux températures extrêmes. Lors des séjours prolongés, le corps humain y est soumis à rudes épreuves : non seulement il doit s'attendre à subir un vieillissement accéléré, mais en l'absence de champ magnétique, il lui sera difficile de lutter contre les radiations cosmiques qui lui sont cancérigènes. La longue durée se révèle un défimédical et technologique peut-être même plus difficile à relever que la distance à parcourir... Mais trêve de pessimisme ! Imaginons les acteurs mondiaux du secteur spatial coordonnés et les écueils technologiques et biologiques surpassés. Pour l'heure, les partisans des missions Lune et Mars lancent des programmes autant pour se tenir prêts que pour faire rêver et remporter l'adhésion.

C'est ainsi que l'Agence spatiale européenne et la NASA ont récemment initié des projets mobilisant des architectes pour mieux imaginer des futurs habités hors de l'orbite terrestre.

La quête de l'inconnu captive aussi les générations futures : en février 2017, une « masterclasse » avec des astronautes était organisée avec des étudiants de l'École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg et depuis sept ans, le concours de la Fondation Jacques Rougerieencourage les créateurs les plus aventuriers, avec une place pour les jeunes, à réfléchir aux devenirs des milieux à risque, cosmos compris ! (voir les trois lauréats du Prix « Innovation et Architecture pour l'Espace », dans Architectures À Vivre 100).

UN VILLAGE SCIENTIFIQUE SUR LA LUNE

Les actuels objectifs lunaires sont bien différents de ceux des missions américaines Apollo du début des années 1970. Le voyage vise dorénavant une installation pérenne afin d'y mener des observations scientifiques au long cours, voire d'y développer une économie - certains acteurs privés convoitent ses ressources minières par exemple.

Le nouveau directeur de l'Agence spatiale européenne a pris ses fonctions en 2015 en annonçant la construction d'un village sur la Lune, en remplacement de l'ISS.

Les astronomes trouveraient un terrain de choix pour écouter l'univers sans perturbation terrestre et mieux dater le système solaire pendant que les biologistes amélioreraient leurs connaissances sur l'évolution du vivant dans l'espace. La construction du village en tant que telle est déjà à portée du savoir existant. Un modèle élaboré avec l'agence de l'architecte britannique high-tech Norman Foster prévoit deux dômes : un premier, gonflable, servirait de structure à un deuxième imprimé en 3D par des robots autonomes, à partir de la poussière lunaire, le régolithe. Trois mois et demi seraient nécessaires à la construction d'un habitat pour quatre personnes, pressurisé et protégé des radiations solaires, des météorites et des fluctuations de températures. Les premiers édifices pourraient accueillir un premier équipage de scientifiques et de techniciens en 2030, compter une centaine d'habitants en 2040 pour atteindre le millier en 2050.

MARS, LA NOUVELLE TERRE PROMISE

Dans le cas de Mars - à supposer que des astronautes arrivent entiers sur sa surface -, il restera à établir des conditions propices à la survie humaine. Les données relevées par les actuels robots informent d'éventuelles missions habitées : les capteurs sondent les sols, les airs, mesurent les radiations, les températures, le dioxyde de carbone, la quantité de glace, autant pour connaître l'écosystème martien que pour évaluer les ressources en vue d'une installation future. Le site d'implantation ne devra pas être trop froid ni trop éloigné d'une présence d'eau, nécessaire à la production d'oxygène. Mais le problème n'est pas que technique, il engage l'adoption d'un mode de vie inédit, des plus austères. La NASAmultiplie en conséquence des recherches axées aussi bien sur la faisabilité constructive et la sécurité que sur le confort psychologique et physiologique des habitants de demain : concours sur des combinaisons antiradiations ; programmes d'agriculture spatiale ; expériences d'apesanteur et d'isolement prolongé et concours sur la production d'un habitat martien indigène. Ce défi nommé 3D Printed Habitat Challenge, lancé en 2015, invite des équipes à concevoir des structures habitables de grande échelle imprimées en 3D par des robots à partir de matériaux locaux afin de réduire les apports terrestres au maximum (voir les trois lauréats du « Concours d'habitat imprimé en 3D de la NASA », dans Architectures À Vivre 100).

Lointaines, arides, poussiéreuses et glaciales, la petite sœur de la planète bleue et sa rouge voisine ne se laissent pas coloniser facilement et cette inhospitalité fondamentale éveille maintes innovations plus soucieuses que jamais d'impact environnemental. Le concours de la NASA entend d'ailleurs mettre à profit son concours pour développer des technologies durables à faible coût destinées à nous autres Terriens. 

POUR EN SAVOIR PLUS

  • Village lunaire de l'Agence spatiale européenne : www.esa.int/fre/ESA_in_your_country/France/Un_village_sur_la_Lune (description du projet
  • Concours de la Nasa : 3dpchallenge.tumblr.com. Le concours se déroule en trois phases : la première concernait le design (2015) ; la deuxième, la mise au point de techniques d'impression 3D avec tests structurels (2017) et la troisième vise la construction de projets à taille réduite, devant faire preuve de leur réplicabilité à grande échelle (2019).
  • Concours d'architecture de la Fondation Jacques Rougerie : www.fondation-jacques-rougerie.com/competititon-in-architecture
  • Réseau disruptif sur les architectures en milieux extrêmes : www.arches.urbicoop.eu
  • Pour se rendre tranquillement (ou presque) sur la planète rouge : Paul Verhoeven, Total Recall (1990) ; Brian de Palma, Mission to Mars (2000) ; Antony Hoffman, Planète rouge (2000) ; Ruairí Robinson, The Last Days on Mars (2013) ; Ridley Scott, Seul sur Mars (2015) ; Denis Bajram, Universal War One & Two , Casterman (1998-2016) ; Florence Porcel, Mars Horizon , Éditions Delcourt (2017) et avant tout, Ray Bradbury, Chroniques martiennes (1950). 


Communiqué par Béatrice DURAND


Publié le 26 avril 2018

Facebook